Au cours des derniers mois, les témoignages concernant des visites par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) des domiciles et même des lieux de travail de personnes militant pour la justice sociale se sont multipliés. En plus de son harcèlement et de son intimidation historique et continue des peuples autochtones, des communautés immigrantes et autres, l’agence d’espionnage est devenue de plus en plus visible dans sa surveillance des mouvements pour la justice sociale.
La Commission populaire sait que, rien qu’à Montréal, des douzaines de visites de la sorte ont été menées. Les personnes visitées sont autant des auteurs et des artistes que des employé-es d’organisations de défense de droits ou des anarchistes vivant dans des maisons collectives. Sans préavis, le matin, au beau milieu de la journée ou le soir, on cogne à la porte de résidences privées. Les motifs d’intérêts sont vastes et vont des sables bitumineux, au G8, à l’organisation des autochtones, la solidarité avec la Palestine, l’Afghanistan, qui vous connaissez et ce que vous pensez. La seule présence de ces interrogateurs et interrogatrices est dérangeante, leur ton peut être intimidant et leurs questions indiscrètes, manipulatrices et inappropriées. Ils et elles vous garantissent la confidentialité – « tout comme dans les cas de certificats de sécurité » – et immanquablement demandent de garder le silence quant à leur visite.
Le Réseau de la Commission populaire recommande la non- (pas de trait d’union) collaboration totale avec le SCRS. Cela signifie de refuser de répondre à des agent-es du SCRS, de refuser d’écouter ce que le SCRS peut souhaiter vous dire et de rompre le silence à propos des visites que le SCRS pourrait venir faire chez vous.
Si vous êtes en instance d’immigration, ou dans une situation vulnérable, nous vous suggérons fortement d’insister pour que toute entrevue avec le SCRS soit menée en présence d’un-e avocat-e de votre choix.
Voici 10 bonnes raisons de ne pas parler (ou écouter) le SCRS.
Même si les agent-es du SCRS ne disposent pas de pouvoir d’arrestation ni de détention, le SCRS peut et va utiliser l’information qu’il recueille dans des conversations en apparence anodines pour écrire des évaluations de sécurité dans des demandes d’immigration, de détention et de déportation en vertu des certificats de sécurité, de diverses listes noires (interdiction de vol, contrôle aux frontières, etc.)1 et pour d’autres fins. Des commentaires innocents que vous pourriez faire peuvent être pris hors(pas de trait d’union)contexte et mal interprétés, mais vous n’aurez aucune possibilité de corriger des erreurs car l’information recueillie demeure secrète.2 Ceci peut avoir un très sérieux impact sur votre vie.
Tout comme le SCRS peut utiliser vos propres mots contre vous, il peut utiliser des commentaires anodins contre les autres. Dans des cas extrêmes, cela peut mener à des situations où la vie des gens est menacée. Dans le cas de Maher Arar par exemple, des agences de sécurité ont transmis des ouï-dire aux Américains qui, non seulement se sont avérés infondés, mais qui ont aussi mené à sa déportation extraordinaire vers la Syrie. Le SCRS a ensuite mené la charge pour empêcher le retour de M. Arar au Canada.3 Des ouï-dire sur lesquels se base le SCRS ont certainement contribué à ce qu’Adil Charkaoui, soumis à un certificat de sécurité, doive se battre pendant six ans et demi contre la détention arbitraire et la déportation vers la torture4.
De plus, le SCRS est réputé pour disséminer de fausses informations sur les autres personnes.5 Écouter le SCRS peut semer un doute et faire craindre aux gens qui les écoutent d’être associés avec les personnes ciblées par les rumeurs du SCRS, contribuant ainsi à isoler ces dernières.6Vous avez le droit à une vie privée, d’être libre de la surveillance, du harcèlement et de l’intimidation. Refuser de parler au SCRS est une manière de revendiquer ces droits fondamentaux; parler au SCRS donne le feu vert à davantage d’intrusion et de contrôle. Plus vous en dites, plus ceux-ci auront une base pour justifier une surveillance accrue.7
De nombreuses personnes croient que si elles coopèrent avec le SCRS, on les laissera ensuite tranquille car « elles n’ont rien à cacher ». L’expérience nous prouve que c’est faux. Une fois que vous avez été identifié comme un collaborateur ou une collaboratrice, le SCRS continuera à vous visiter à chaque fois que ses agent-es croient que vous pouvez apporter une information. Le meilleur moyen que le SCRS vous laisse tranquille est de refuser de collaborer avec lui.
Certaines personnes sont parfois tentées de discuter avec le SCRS par simple curiosité. Les agent-es du SCRS sont cependant bien entraîné-es. Ce qu’ils/elles vous laisseront savoir c’est ce qu’ils/elles veulent que vous sachiez, c’est délibéré. Ils/elles peuvent aussi délibérément propager de la désinformation tant directement que par insinuations. Vous n’avez aucun moyen de savoir si ce qu’ils/elles vous disent ou vous mènent à croire est véridique.
Au cours des années, le SCRS a réussi à prouver qu'il est incompétent8 et peut être de mauvaise foi. Le SCRS a joué un rôle central dans le cafouillage autour de l’enquête sur Air India9 (et, selon le Globe and Mail, une taupe du SCRS pourrait avoir joué un rôle dans l’explosion);10 le SCRS a détruit des preuves dans le cas du certificat de sécurité de Charkaoui,11 dissimulé le fait qu’un informateur clé avait échoué à un détecteur de mensonges dans les cas des certificats de sécurité d’Harket et d’Almrei;12 et a même menti à l’organisme chargé de sa propre surveillance (le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité - CSARS) dans le cas de Bhupinder Liddar.13
Le SCRS est de manière routinière impliqué dans des tactiques peu éthiques d’intimidation et de harcèlement dans ses efforts pour recruter des informateurs et informatrices : visites sans préavis des gens à la maison ou sur leur lieu de travail, offre d’argent ou de faveurs en échange d’information, intimidation des personnes avec des statuts d’immigration précaires,14 questions indiscrètes ou impertinentes,15 identification frauduleuse, tentatives pour décourager les gens de joindre un-e avocat-e ou bien suggestions pour que ceux-ci joignent un-e avocat-e choisi-e par le SCRS.16
De l’information fournie au SCRS ne restera pas que chez le SCRS. L’agence admet avoir des partenariats de partage de renseignement avec des agences d’espionnage de 147 autres pays.17 Ses collègues actuels incluent la CIA, le Mossad, les mukhabarats de la Syrie, de la Jordanie, du Maroc, du Soudan et de l’Égypte, le MIT de la Turquie et bien d’autres. Même si le CSARS a déterminé que le SCRS « se trouve rarement dans une position où il peut déterminer comment l’information fournie à une agence étrangère sera utilisée, ou comment l’information reçue a été obtenue»,18 le partage de l’information continue. Tout ce que vous direz au SCRS pourra être partagé avec une de ces agences, affectant potentiellement vos voyages et votre famille à l’étranger.
Le SCRS vise des communautés entières sur la base du profilage, de l’association et de concepts racistes de « menaces » et de « sécurité nationale ».19 Bien que les peuples autochtones,20 les queers,21 et les communautés racialisées et immigrantes22 aient été depuis longtemps la cible des agences de sécurités coloniales du Canada, les Musulmans et les Arabes sont depuis les dernières années les groupes les plus lourdement ciblés.23 La non- (pas de trait d’union) coopération totale avec le SCRS est le meilleur moyen de s’opposer aux « évaluations de menace » racistes et de défendre la liberté, les droits et la sécurité de communautés qui se voient profilées et ciblées. La non- (pas de trait d’union) collaboration collective fera diminuer la pression sur les personnes et les groupes les plus vulnérables qui pourraient autrement avoir trop peur de défendre leur droit à la vie privée et au silence.
L’objectif déclaré du SCRS est de recueillir des renseignements sur toute personne ou groupe qui, à son avis, peut constituer une menace à la sécurité du Canada ou des intérêts canadiens. La question éminemment politique de savoir comment le SCRS définit une « menace », la « sécurité » et les « intérêts canadiens » est rarement, voire jamais, un sujet de débat public.24 Selon le CSARS, le SCRS a « démontré une attitude « regrettable » selon laquelle l’appui aux causes arabes puisse être jugé comme suspect.»25.
La surveillance par le SCRS est loin de se limiter aux groupes ou aux individus qui sont soupçonnés de constituer un risque de violence. Le SCRS est explicitement chargé de fournir des « évaluations de sécurité » au gouvernement. Ces évaluations de sécurité sont une « évaluation de la loyauté d’un individu envers le Canada et, à cet égard, de sa fiabilité.»26 Cela donne clairement au SCRS une autorité fort large pour recueillir des renseignements et signaler quiconque dont les activités peuvent menacer – ou semblent menacer – le statu quo au Canada ou ailleurs. En pratique, nous avons vu de nombreux exemples où le SCRS a ciblé des syndicats, des groupes pour la justice sociale et des militant-es.27
En bref, la collaboration avec le SCRS signifie participer à la répression de la contestation. Au cours des derniers dix ans, le budget du SCRS a crû de 140% et le nombre de ses employé-es de près de 40%.28 Il ne devrait y avoir aucune place pour une police politique dans notre société, et nous ne devrions pas leur laisser de légitimité ou d’espace pour croître.
En intimidant et en harcelant les individus,29 en semant la peur, en disséminant les rumeurs, en isolant les leaders, en utilisant la manipulation basée sur le profilage psychologiques et en recrutant des informateurs ou même des provocateurs/trices, le SCRS peut créer ou exploiter les divisions entre les militant-es et les membres de la communauté et mettre en péril le travail d’organisation communautaire et de justice sociale.30
La non-(pas de trait d’union) coopération complète avec le SCRS est le meilleur moyen de maintenir l’unité et la solidarité et de continuer notre travail pour la justice sociale et le soutien aux membres des différentes communautés dans leurs luttes pour la justice et contre la répression.
Le Réseau de la Commission populaire est un réseau montréalais surveillant et s’opposant au plan « de sécurité nationale». Le Réseau est un espace permettant aux individus et aux groupes qui font face à l’oppression au nom de la « sécurité nationale » - comme les peuples autochtones, les immigrant-es les communautés racialisées, les organisations politiques radicales, les syndicats - et leurs alliés de former des alliances, de partager de l’information et de coordonner des stratégies afin de défendre leurs droits et leur dignité.
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